Derrière la toile

"Je sais que ma vie sera un voyage continuel dans une mer incertaine"

                                                            Nicolas de Stael    Lettre à son père adoptif. Avril 1937                                                                                         

230 pages * 21 x 15

Elise Fischer sur son blog le 24 septembre 2019:

J’avais eu le plaisir de rencontrer René Vincent-Viry à La Bresse, dans ses terres lorsqu’avec une troupe théâtrale, avaient été mises en scène quelques pages d’un de mes ouvrages. Ce fut une rencontre avec un artiste, un peintre, un romancier aussi puisqu’il m’avait confié Mystérieuse Flore, un roman ayant pour décor ses chères Vosges avec une histoire transportant une héroïne en quête de vérité sur ses origines jusque dans les forêts les plus sombres, là où pendant la guerre les êtres n’étaient ni totalement des héros ni complètement des salauds (il y en avait pourtant). J’avais apprécié.

Il nous revient avec Derrière la Toile et le titre en dit long sur l’art qui habite l’auteur. Voici Fred et Lola… Fred, artiste peintre qui ne pense qu’à sa peinture et Lola désespérée qui fuit, car elle a l’impression de n’être rien qu’une couche de peinture, une matière utile. Fred n’a rien vu venir. C’est parfois l’absence qui fait prendre conscience de l’importance de ce qu’on a perdu. La peinture lui sera-t-elle un refuge ? Il veut y croire… et l’ouvrage montre l’artiste en train de chercher la couleur chair à défaut d’avoir perdu celle de l’être aimée. De bien belles pages !

Et comment fait-on pour oublier, se guérir ? On boit… On s’assomme jusqu’à sombrer… Petit miracle on peut se retrouver en compagnie de grands maîtres, Monet, Cézanne, Picasso… De quoi crever la toile…

L’amitié peut naître entre ces maîtres du pinceau et celui qui se cherche. Il ne faut pas chercher à comprendre dans quel monde l’auteur nous emporte. L’artiste qui est de notre époque, initie les anciens aux DVD et Internet. Reste un commissaire au nom illustre de Fragonard qui s’interroge… Lola revenue de sa fuite voudrait comprendre.

Ces pages se laissent lire et font plaisir. Ne les manquez pas ! Elles révèlent les couleurs de la vie.

4ème de couverture...


Peindre un sujet pendant des mois pour tenter de retrouver sur la toile un bonheur perdu. Échouer, recommencer sans cesse, lutter avec une détermination farouche afin d'atteindre l'inaccessible. Persévérer jusqu'à la déchirure et se retrouver dans la toile auprès de personnages célèbres venus d'un autre temps.

  Dans cet espace intemporel, le peintre Frédéric Vendel va se lier d'amitié avec ses compagnons d'infortune. Il fera découvrir à ces artistes les surprenants moyens de communication du xxie siècle et la manière dont leurs œuvres sont interprétées. Ces découvertes provoqueront quelques vifs échanges entre les protagonistes et dévoileront des comportements inattendus. En retour, leurs conseils seront d’un grand secours pour Frédéric qui, de son petit atelier isolé en Bourgogne, va vivre quelques heures fantastiques, entraînant dans son sillage le commissaire Fragonard.

  Hallucinations, folie, monde parallèle ? Mensonges ou escroquerie ? Un rêve probablement, transformé en cauchemar dès lors que des éléments surnaturels vont semer le doute pour notre héros comme pour le lecteur.



Extraits...


.../... Sous les gestes de plus en plus violents, le châssis s'échappa du chevalet.Fred le saisit avant qu'il ne tombe à plat sur le parquet maculé, le replaça brutalement sur son support.Les nerfs, cette fois, prirent le dessus.Le peintre vacilla, se ressaisit, hurla son aigreur. Des larmes vinrent se loger au coin de ses yeux fatigués. Il chassa cette buée d'un revers de manche de sa blouse en même temps qu'il libéra un cri de colère, un cri de vengeance, de détresse, de ras le bol, de découragement.Il ne frappait plus la toile, mais il la giflait, de gauche à droite, en haut, en bas.Ne prêtant plus aucune attention à son matériel, il ne vit pas .../...


.../...


.../...Elle détourna son regard de l'appareil et fixa l'horizon à peine couvert de brume s'unir avec le ciel. Loin du rivage, une lame muette oscilla légèrement, soulevant avec élégance sa robe d'écume sur les flots agités. Encouragée par un souffle venu du nord, la vague renouvela son mouvement, accentua ses ondulations avec grâce, se gonfla de désir pour mieux se rapprocher. Totalement libérée, elle se dressa, majestueuse, avant de s'abandonner en mille méandres tumultueux pour mieux conquérir son hôte fragile et sablonneux. Comme une caresse apaisante sur un corps assoupi, elle se laissa mourir en silence afin de renaître pour revenir encore, plus vigoureuse, plus insatiable .../...

.../...

.../...Tous deux restèrent un long moment, immobiles, figés de frayeur. Sur ses joues mates, Picasso laissait glisser des larmes de tristesse mais également de colère. Ainsi, “pour l'exemple”, les dirigeants de son pays avaient pactisé avec les fascistes pour anéantir une population innocente.Il ressentit à nouveau la nécessité de témoigner de cet épouvantable crime en pleine guerre d'Espagne, et l’urgence qui l’avait fait dénoncer, grâce à la réalisation d'une gigantesque peinture, toute l'horreur que l'homme pouvait engendrer. Le visage enfoui dans l'herbe sauvage, Fred recherchait son souffle.De la vallée, montaient des cris mélangés à de sourdes détonations, derniers avertissements du feu dévastateur.

‒Viens, dit Pablo en se levant péniblement.Allons voir!

‒Voir? Mais pour quoi faire? Ce n'est pas ma guerre!

‒Ce fut la mienne, désormais c'est la tienne! répondit sèchement l'Espagnol.Je veux que tu voies de près ce cataclysme. Tu veux peindre ce que tu ressens ? Eh bien, c'est l'occasion de t'imprégner des éléments. Puisque tu n'y arrives pas sur ta toile, peut-être comprendras-tu sur place comment transgresser les choses!

‒Très bien. Mais dites-moi d'abord comment nous nous retrouvons subitement en Espagne en 1937? Expliquez-moi, monsieur l'Artiste !

‒La toile, Fred ! TA TOILE ! N'oublie pas, nous sommes dans ta toile.

‒Comme ça, de l'atelier on se retrouve au pays basque, quatre-vingt-quatre ans en arrière ? Et les autres, où sont-ils ?

‒Ailleurs, quelque part. Arrête de chercher à tout contrôler, à tout comprendre. Tu voudrais pouvoir t'évader dans une peinture imaginaire et tu t'entêtes à vouloir rester collé à la réalité. Laisse aller Fred, tout est dans ta tête !

Ils parlèrent ainsi en descendant de la colline.Les fumées de la ville en feu les empêchaient de respirer. Aucun bâtiment n'avait été épargné. Seules quelques silhouettes de murs branlants, entre lesquels erraient une poignée de survivants cherchant à s'enfuir comme des fantômes au creux des ténèbres, restaient debout. Fred se dit qu'il n'était plus en compagnie de Picasso mais avec Lucifer l'entraînant dans les entrailles de la Terre. Sur ce qui était encore la place du marché quelques heures auparavant, ne subsistait qu'un champ de ruines. «Tout est dans ma tête, alors je vis un rêve étrange» se répétait Fred, les yeux et la gorge pourtant irrités par les fumées. Il entendait les appels au secours, les cris des femmes, les pleurs des enfants. La mort rôdait tout autour de lui. Malgré les rayons encore chauds du soleil couchant et les restes de brasiers, il avait froid. Des spasmes violents l'obligèrent à s'arrêter. La sueur enveloppa son corps. Sous ses jambes tremblantes, le sol semblait se dérober. Il vomit toutes ses tripes. Il pleurait.

‒Ça vient! dit Pablo.L'émotion, elle vient! .../...

.../...

.../...Il tapa quelques mots, plusieurs codes. Les cinq peintres, ainsi que Jacqueline qui, très intriguée, les avait rejoints, virent défiler devant leurs yeux des sigles, des photos, des noms baroques comme Google, eBay, Wikipédia, des cases multicolores, des listes, des chiffres, des adresses précédées d'une procession de w, de traits, de points. Fred cliqua sur une de ces lignes. Un cercle tournoya quelques secondes au milieu de l'image figée.

‒Alors? demanda avec force le rouquin impatient.

‒Il cherche. Ça va venir.Un peu de patience. Voilà ! Regardez ça !

Un vaste tableau apparut, étalant une quantité de cases remplies de noms successifs indiquant les titres des peintures, leurs dates de réalisation, leurs valeurs financières lors des dernières ventes.Il était question, pour certaines œuvres, de millions d'euros.

‒Des euros? Qu'est-ce que c'est que cette monnaie? demanda Monet.

‒La monnaie actuelle en Europe, l'équivalent du dollar américain.

‒Ce qui nous donne?

‒Eh bien, pour une toile de Cézanne, par exemple Les Joueurs de cartes, la plus cotée de toutes, dernière cote: deux cent cinquante millions de dollars soit près de deux cent vingt millions d'euros[1]. En francs, cela représenterait environ un milliard huit cent trente millions. Et en anciens francs, cent milliards huit cent trente millions.

‒Nom de Dieu ! s'exclama Cézanne. C'est pas possible !

Cette découverte déclencha chez les cinq artistes, une avalanche de réflexions..../...


.../...

.../... ‒ Parti lui aussi.Sous le ciel assombri.
‒ On ne change pas sa destinée, affirma de Staël. La mienne m'appelle à ma fenêtre. Je sais ce que les corbeaux ont dit à Van Gogh, je sais pourquoi mes mouettes m'appellent. On ne refait pas l'histoire.
‒ Tu es triste, Nicolas, dit Fred la gorge nouée par l'émotion. Est-ce les propos de Monet qui te rendent si mélancolique ?
‒ Rien de tout cela, rassure-toi, Fred. Un amour impossible ajouté à la peur du succès a détruit mon esprit de peintre déjà tourmenté par la recherche ininterrompue de mon art. “Tout cela me conduit avec frénésie vers un abîme inévitable.”
‒ Je connais ta triste destinée mais elle n'enlève rien à la qualité de ton œuvre que, d’ailleurs, j'admire. Elle m'aide beaucoup. Merci Nicolas pour ce que tu as apporté à l'art, plus particulièrement à notre monde pictural.
‒ Alors puissent mes peintures te servir et t'inspirer. Aie confiance, tu es près de la vérité. Excuse-moi de te priver de regarder encore le Portrait d'Anne mais je dois le rapporter au musée Unterlinden. Colmar n'est pas tout à fait sur ma route, tenta-t-il de plaisanter comme si, dans sa condition, la distance avait une importance. Adieu mon ami. Un immense concert m'attend, Le Concert . Mais “je ne sais si j'aurai la force de parachever” cette toile.
Sans artifice, Nicolas de Staël disparut discrètement, chargé de ses toiles.